Dieu et les changements climatiques en Afrique

Lutter efficacement contre les changements climatiques en Afrique revient sans doute à mobiliser les armes de Dieu et à emprunter ses voies, à la suite du Pape François, pour enrôler les croyants dans la bataille de l’humain contre lui-même. Ne pas le faire serait une grave erreur.

Au commencement était l’Homme. Il a dompté la Terre, a bâti le monde et nous avons vu sa gloire ! Se faisant Moïse de l’humanité, il a donné la loi, imposé sa suprématie sur les espèces et apporté un contenu à sa vérité. Depuis, il vit dans un frisson adamique dont l’âge d’or est l’anthropocène. Plus que jamais, il défie et bouleverse les équilibres géophysiques, non sans conséquences. En effet, la nature mutilée est criante de ses souffrances et lourde d’un désespoir infligé par ceux qui espèrent en la vie éternelle. Visiblement, elle n’a pas voix au chapitre, devant la prédation humaine ! Pourtant, en elle gît le sacré, et pour beaucoup, le divin. Serait-ce donc pécher que de la faucher ? Postulons-le au titre de la bien-pensance, y compris pour la suite de ce propos. Mais alors que nombre d’entre nous, Africains surtout, vivent dans la perspective du jugement dernier, que pourrions-nous plaider, mis au banc du Seigneur, si l’insouciance climatique était la res judicata de l’au-delà ? Coupable ? A chacun de le déterminer. En toute lucidité.

Dans une Afrique aux innombrables défis, en bonne place desquels figurent l’éducation (au sens large) et la pauvreté, Dieu prend une dimension outrageusement plus forte que jamais auparavant, chez les pèlerins du salut. Alors que le paysan de l’Oti (Nord-Togo), frappé par la rareté à la marge du monde, voit dans l’irrégularité des pluies, la dégradation des sols et la montée du thermomètre, une sentence du très haut, le mal culmine à mille lieues de la sobriété de son existence. A qui la faute ? Le pollueur est-il un bienfaiteur ? Certainement pas du point de vue de l’environnement agressé. Mais il existe une relativité du bien et du mal sur la question des changements climatiques, au service de la contre-influence des climatosceptiques et des amoureux de la démesure, lesquels restent convaincus par Nietzsche que « ce qui ne tue pas rend plus fort ». Et pour cause ! Leur vérité se voulant nietzschéenne, raconte et protège leurs fulgurances plus qu’elle ne révèle la condition du métayer de Mandélia au Tchad, déshérité par le fruit de la terre, son pain de la vie.

Dans cette Afrique dont le niveau de pollution est inversement proportionnel à la menace croissante qu’elle subit, la montée en puissance des middle class rime avec une tendance marquée à la pollution. Pourtant, c’est là que des efforts intenses doivent être fournis. Car le nouveau pollueur africain a ce « comportement évasif » dont parlait le Pape, in Laudato Si, celui qui lui « permet de continuer à maintenir son style de vie, de production et de consommation ». C’est ainsi, en effet, qu’il « s’arrange pour alimenter tous les vices autodestructifs : en essayant de ne pas les voir, en luttant pour ne pas les reconnaître, en retardant les décisions importantes, en agissant comme si de rien n’était ». Il est à craindre que l’augmentation de la classe moyenne n’impose la dictature du nombre sur les comportements bas-carbone que nous invoquons. Parce que la mobilisation des masses, véritable chemin de croix, est un tel ressort au changement que les voies de Dieu nous obligent. Les hommes d’église, dont on ne théorise pas assez l’influence sur les foules en Afrique, et autres évangélisateurs, ont ainsi un rôle à jouer pour appeler la manifestation du divin contre les changements climatiques. Car il s’agit de la lutte de l’humain contre lui-même.

Ainsi, pour implorer celui qui enlève le péché du monde, de prendre pitié de nous, il faut désormais accepter que ce soit l’Homme qui par son attitude détermine que sa partition soit celle de la ‘‘damnation’’. Faire sa profession de foi, croire en la rémission des péchés, en la résurrection de la chair et en la vie éternelle…c’est désormais agir. Car espérer sans agir, pour le croyant-militant qui convient à cette lutte, c’est abdiquer ! C’est priver le « ne regarde pas nos péchés, mais la foi de ton église » d’un contenu profond. Dans ce contexte, rien de plus normal que « Dieu se rie des hommes qui se plaignent des conséquences dont ils chérissent les causes » comme disait Bossuet. Aussi vrai que Sénèque s’adressant à Lucilius donna le ton : « quand tu auras désappris à espérer, je t’apprendrai à vouloir ». S’agit-il, pour les croyants de désespérer de Dieu ? Là n’est pas le sujet. Par contre, le silence de Dieu, regardant les Hommes, est nettement plus sonore que nos légères facilités. A nous d’en tirer les leçons, à l’heure des changements climatiques…ou non.

Vouloir, pour le croyant-militant, c’est donc agir pour s’exhausser et mériter d’être exaucé par Ciel. Vouloir, pour le prêtre-militant, le frère-militant, le féticheur-militant, le pasteur-militant, l’imam-militant ou le rabbin-militant, c’est aller au-delà des genoux qui fléchissent et des langues qui confessent, pour engager les fidèles, pour nombreux qu’ils soient, dans un cheminement vers l’éco-conscience africaine. Vouloir, pour tous, enfin, c’est comprendre avec St Augustin que « l’amour qui nous fait aimer le prochain est le même que celui qui nous fait aimer Dieu », et trouver dans la nature, cet autre, ce prochain qu’on blesse à la hache. Afin que la déclaration islamique et la déclaration interreligieuse sur les changements climatiques ne soient jamais de vains mots. Afin que notre chandelle ne meure pas. Afin que le frère Jacques sonne les matines de l’éveil collectif des croyants sur les changements climatiques en Afrique. Car à ce sujet, la messe n’est pas dite.

Beaugrain Doumongue

 

Recent