Des Communes stratèges pour une Afrique des territoires

L’inégale répartition du service public conditionne et entretien un gap interrégional en matière de développement dans la majorité des pays africains. Dans un monde aussi frénétique, l’inégalité territoriale est un frein à la compétitivité continentale. La décentralisation présente l’avantage de favoriser l’émergence des « Communes stratèges ».

Les pays africains sont aux prises avec des difficultés de tous ordres. Il serait téméraire de s’aventurer à en ressortir la liste, tant elle est longue. Au rang de ces défis figure celui de l’inégalité territoriale. Si l’Etat est relativement présent dans les territoires, il n’en est pas toujours de même en ce qui concerne le service public et les infrastructures. L’Afrique (respectivement « les Afriques ») des peuples évolue(nt) de façon décorrélée(s) de celle(s) des territoires, ce qui entenaille des pays, devenus quasiment aveugles aux possibles de nombre de leurs territoires jugés trop reculés, ruraux, ou à faible densité de population.

En mettant l’accent sur une poignée de Communes considérées plus viables et mieux classées au détriment de celles catégorisées supra, les Etats africains se rendent souvent complices de leurs propres retards de développement. Certaines communes possèdent au-delà des apparences, de grandes capacités de développement que leur confèrent leurs spécificités culturelles, leurs savoir et savoir-faire traditionnels, leurs réalités locales ou encore leur positionnement géographique. Celles-là devraient pouvoir être identifiées, et promues, pour les hisser vers des standards plus élevés. C’est en cela que la décentralisation, concentre les possibles de l’exploitation du vivier local.

Au-delà des mécanismes classiques de soutien des Etats au développement de leurs territoires, l’enjeu est de maintenir le niveau de développement local en hausse constante pour franchir un palier acceptable. Des efforts doivent être fournis des deux côtés, pour permettre la réduction des disparités qui existent entre certaines « villes élites » et les autres, dans le but d’étouffer ce que Tocqueville appelait le paradoxe de l’égalité : réduire les différences sans exacerber le sentiment d’injustice, de déclassement ou d’abandon. En clair, il faut soutenir l’omniprésence de la République. Dans une certaine considération sociale, c’est la diversité et l’égalité des chances qui accompagnent celle des territoires. Une raison de plus pour travailler à cela.

En tout état de cause, c’est aux communes elles-mêmes qu’il revient de prendre les rênes de leurs destins et de construire une trajectoire évolutionnaire qui, – sait-on jamais – pourrait enseigner aux Etats. En effet, les communes africaines doivent consolider leur organisation, renforcer leur administration et structurer leurs ambitions, pour construire des politiques réalistes de développement et de sécurisation de leurs atouts économiques, en prenant une position d’avant-garde sur base d’une analyse géopolitique poussée de leur contexte. En faisant ce travail, elles seraient en mesure de maîtriser leurs défis, d’identifier les contraintes qui les entravent, et d’élaborer leurs stratégies de compétitivité, de sorte à se déployer au service de leurs intérêts et par ricochet, de ceux de leurs Etats.

Il est temps pour les communes qui se veulent stratèges, de protéger leur patrimoine économique, culturel, scientifique et informationnel pour maîtriser leurs risques tout en restant ouverts au monde. Il est temps de changer d’échelle pour doper la capacité des africains à adresser leurs défis en termes de mobilisation des ressources, de productivité, d’accroissement du pouvoir d’achat et de stimulation de la croissance. Car si le monde se meut aussi dynamiquement, l’Afrique n’a pas de temps à perdre. Elle est déjà perdante dans la rivalité économique, géostratégique, technologique qui engage la communauté internationale dans une course effrénée au leadership mondial.

Le pouvoir des Communes, si elles revêtent les habits de « stratèges », gît dans leur aptitude à s’approprier les bénéfices de l’intelligence territoriale, pour réussir là où les Etats ont échoué. L’Afrique des territoires est -théoriquement- plus prometteuse que celle des Etats, et peut accompagner l’Afrique des peuples dans la consolidation d’une souveraineté si souvent piétinée, d’une identité si souvent rabaissée (par les africains eux-mêmes). Les Communes, ont donc le potentiel de prendre en charge leur développement, d’entrer en coopétition, de remettre d’aplomb le volet défensif de leur stratégie de croissance (souvent équivalent à une coquille vide), de faire de l’attaque un outil de (sur)vie, et d’adopter l’influence comme un levier de conquête. De plus, au-delà de s’élever et d’offrir des possibilités insoupçonnées à leurs populations, les « Communes stratèges » seraient plus rayonnantes et à même de construire l’exemplarité.

Pour être exemplaires, même aux yeux des Etats, les Communes stratèges d’Afrique, doivent forger une approche géostratégique sur deux volets : la compétitivité (appréhender les flux financiers et économiques, attirer les entreprises, grandes écoles et institutions, etc.) et l’attractivité (au niveau des personnes, accueil, qualité et coût de la vie, offre culturelle, infrastructures, consommation, environnement naturel, services, etc. ). La bataille de l’image est rude et mobilise le meilleur du marketing territorial et de l’influence dans la lutte sans merci que se livrent les territoires au sein des nations et entre les nations. Les agendas politiques locaux doivent donc s’adosser à ces réalités, pour mesurer l’ampleur des enjeux et porter le city branding africain. Aussi vrai qu’à ce stade du XXIe siècle où la création des stratégies de puissances des Communes africaines est plus que jamais impérative, l’intelligence territoriale est un passage obligé pour les territoires africains.

Beaugrain Doumongue

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