Devant la croissance exponentielle des constructions anarchiques, l’Afrique est au défi de redonner une place de choix aux établissements humains, afin que des bidonvilles de la taille du West Point à Monrovia ou (pire) encore, celui de Kibera à Nairobi, ne deviennent la norme des cités africaines, mais fassent place à la ville durable.
La densité de la population et l’étalement urbain dessinent les contours et modèlent la morphologie des villes tout en les racontant. Il n’y a cependant pas de lien direct entre la densité bâtie et la densité de la population, d’où l’impact mesurable des migrations, dopées par l’arrivée progressive des migrants en quête d’un mieux-être jamais garanti en ville. Les couronnes périurbaines s’en trouvent si peuplées, dans une dynamique quasi-naturelle, que l’exponentielle de l’habitat spontané en Afrique peine à être rattrapée.
Enjeux explosifs
Les bidonvilles se forment, s’auto-entretiennent et se développent d’une manière qui complexifie la gestion de l’urbain et qui questionne les moyens de rattraper ce qui relève parfois de plusieurs décennies de laisser-aller. Cela donne lieu dans certains pays à des opérations de déguerpissement, lesquelles sont rarement efficaces car elles n’induisent généralement que le déplacement de ces zones d’habitations informelles vers des endroits du même type où s’accroît de fait, la densité de la population.
En 2007, quelques 800.000 ménages avaient perdu accès à la ville du fait d’expulsions brutales engagées par les autorités nigérianes. Dans la foulée, l’opération « Murambatsvina » lancée par les autorités zimbabwéennes dans le but de « rétablir l’ordre » a mené à la destruction de plusieurs marchés illégaux, établissements informels et zones d’occupation illégale, privant plus de 700.000 personnes de leur logement, et 300.000 autres, des moyens de subsistance qu’elles tiraient du commerce informel. Bien que condamnée par la communauté internationale, cette opération en a séduit plus d’un, ailleurs en Afrique.
L’espace urbain est donc généralement partagé de façon incongrue, parce que l’accès au logement décent reste une question de taille, qui induit la ségrégation résidentielle. Les ménages aisés sont ainsi séparés des plus démunis dans des quartiers sans commune mesure, dans un environnement rendant difficile l’insertion urbaine (des migrants), tout en accroissant les inégalités entre les habitants des quartiers surpeuplés et ceux des quartiers huppés, aussi bien que les problèmes urbains « invisibles » théorisés par Robert Potter (difficultés sanitaires et nutritionnelles).
Approche décisive
L’évolution de la ville et des rapports humains étant dynamique, on observe que dans certains endroits, plusieurs phénomènes se superposent. En effet, des secteurs initialement pauvres se métamorphosent de plus en plus et modifient au fur et à mesure la physionomie des villes africaines, du fait d’une gentrification progressive, accélérée par l’augmentation du pouvoir d’achat et l’évolution des middle class. Au final, la ségrégation résidentielle évoquée plus haut devient dans ces secteurs, d’autant plus manifeste que des bâtiments modernes et précaires sont désormais mitoyens. Ainsi naissent des tableaux aux tons si contrastés qu’ils donnent une teneur de rugosité à ce qu’il nous convient, chez Construire pour demain, d’appeler « les fresques africaines du bâti ».
Les bidonvilles mobilisent plus de 450 millions de personnes en Afrique. Cela est si scandaleux que ces bidonvilles aussi bien que ces fresques du bâti, ne se contentent pas simplement d’exprimer la mauvaise gestion de l’urbain et le dysfonctionnement du secteur du logement en Afrique. Ils renferment en sus une opportunité de développement insoupçonnée, qui est aussi une bombe à retardement (c’est le revers de la médaille) si redoutable qu’il est aisé à leur échelle de comprendre que la ville ne se décrète pas. Loin s’en faut.
Le défi actuel des acteurs africains de la ville est peut-être de comprendre et/ou d’intégrer dans les faits que la ville durable africaine ne tombera pas du ciel. Elle est à créer au jour le jour, au gré d’un entrelacement foisonnant et subtil des critères qui conditionnent sa durabilité. La ville est donc un processus, une démarche. Et nous ne le dirons jamais assez chez Construire pour demain : « la ville est un projet collectif ».
Dr Beaugrain Doumongue